mardi 28 mars 2023

LIVRE, Science, Identité

On ne peut définir ce que le livre a de spécifique, voire de radicalement individuel, le distinguer des formations signifiantes et textuelles, le libérer de ses interprétations technologistes et philosophiques que si on le constitue comme objet d’une science... Le livre est constitué d’un ensemble d’identités radicales exigées comme telles par la science, et qui refusent de glisser les unes dans les autres, ou de se connecter topologiquement par leur plus grande distance les unes aux autres. Elles résistent à l’idéal techno-philosophique d’un devenir-livre illimité, sans constituer d’ailleurs par là une structure matérielle fixe et conservatrice... Ce qui gêne les philosophes dans le livre et les rend impatients, c’est l’existence – certes inaperçue d’eux ou oubliée, justement – d’identités réelles et irréductibles, qui ont pour eux l’apparence soit de pleins, soit de ruptures, et qu’ils entendent survoler, se plaçant en tiers pour faire la synthèse ou la connexion des coupures et des continuités... Une science du livre seule peut faire du livre le sujet non-thétique (de) soi, et contraindre l’écrivain, le lecteur, le bibliothécaire à se replacer dans cette expérience radicalement subjective, à devenir ces sujets non-thétiques (du) livre qui n’ont pas besoin de le « poser » et de le « sur-voler », de se l’approprier et de le réfléchir.

LARUELLE, 2020, NET