mercredi 22 mars 2023

SCIENCE, Technologie, Essence

"La mise à part du technologique comme tel prépare aussi, plus profondément, celle de la science... Que reste-t-il encore pour la pensée, si désormais le technologique se veut comme tel, s’il cesse d’être une instance méta-technique comme dans les « philosophies de la technique » et devient une sur-technologie qui inclut les discours, tous les discours et tous les savoirs à son propos ?... Il lui reste à chercher à quelles conditions une science de la technologie serait malgré tout possible, et peut-être même serait réelle... Une science dont on peut tout de suite imaginer, si elle doit être réelle, qu’elle ne procédera plus en objectivant la technologie puisque celle-ci aura déjà inclus pour son compte l’objectivation et tous les méta-discours… Ne faut-il pas du coup imaginer une critique enfin non-philosophique de la Raison technologique ?... À quelles conditions les modes d’intervention traditionnels de la philosophie, qui sont plutôt hégémoniques (fondation, légitimation, législation) peuvent-ils être abandonnés sans que la dimension de l’essence elle-même le soit ? Comment articuler les unes aux autres les déterminations transcendantales de l’essence de la technologie et les limites technologiques de la philosophie ?... Il s’agit du projet quasi-husserlien d’une science transcendantale : ni science empirique ni philosophie, mais l’unité a priori des deux, dont les sciences présentes dans les technologies sont comme un mode, et dont l’un des objets pourrait être « la » technologie... La distinction uni-latérale, irréversible, d’une science transcendantale articulée dans l’expérience transcendantale non-thétique (de) soi que nous appelons l’« Un », et de la Décision philosophique qui, elle, est globalement thétique ou positionnelle (malgré toutes les nuances et les altérations apportées par les contemporains à ce trait ontologique) – cette distinction est ce qui fonde le programme d’une critique réelle et scientifique de la Raison techno-logique (c’est-à-dire du mixte de la technique et de la philosophie). Notre but n’est pas d’ajouter aux descriptions positivistes (trop positivistes pour être réellement positives) qui existent des outils, des machines et des modèles, et pas davantage de les critiquer comme modes de la métaphysique. En particulier toutes ces recherches reposent sur l’hypothèse d’un non-technologique qui n’est pas du tout celle de Heidegger, même si, par un de leurs côtés, elles radicalisent celle-ci (la technique, prolongement et accomplissement de la métaphysique). On distingue sans synthèse possible, sinon illusoire, la science et la technologie. Cette distinction d’une expérience absolument immédiate du réel, qui fonde sa représentation scientifique et de sa représentation techno-logique, voilà le « roc » de ces recherches."

LARUELLE, 2020, NET