dimanche 19 mars 2023

SCIENCE, Réel, Connaissance

"L’interprétation gréco-dominante de la science est philosophique. Cela veut dire qu’on la réduit soit ontologiquement (la science, mode du projet ontologique de l’objectivité) ; soit épistémologiquement (la science, prétendu fait donné et déjà constitué) ; soit technologiquement et sociologiquement (la science, effet de pouvoir-savoir, systèmes de relations techno-politiques puis sociales). Ce sont trois manières de décider que « la science ne pense pas »... Le cœur de cette réduction, c’est la thèse selon laquelle la science reposerait sur l’objectivation du réel... Pour la philosophie, il est fondamental de confondre circulairement, même si c’est à plus ou moins longue échéance et avec plus ou moins de délai ou de retard, le réel connu avec l’objectivation du réel ; le réel et sa connaissance ; l’objet réel et l’objet de connaissance. Au contraire, la science, dans son rapport au réel à connaître, ne procède pas par l’objectivation philosophique qui est toujours une extériorité ou une transcendance. Elle accède au réel à connaître par le moyen et sous la forme de données immanentes absolues... Elles seules expliquent le réalisme scientifique de fond, la distinction « duale » c’est-à-dire sans synthèse, la non-confusion, par la science, du réel et de l’objectivation... Il y a une « intentionnalité », si l’on peut dire, de la science, quant au réel, prétention éminemment transcendantale d’un accès direct qui ne passe pas par la médiation de la représentation. Il y aura bien entendu représentation scientifique du réel, mais elle découlera de celui-ci, elle ne le précédera pas ni ne constituera comme le croit et le veut la philosophie... La connaissance est un reflet du réel, mais un reflet qui ne le pose ni ne l’objective, reflet que l’on appelle non-thétique (du) réel et qui a son fondement non-synthétique ultime en celui-ci. La posture scientifique consiste à se « donner » une identité – sans identification et sans synthèse, non-objectivante – du réel et d’elle-même et, de là seulement, à le représenter sans prétendre le transformer dans cette opération. Cette identité – sans-identification préalable – ce que nous appelons l’Un en un sens non-philosophique, n’est rien d’autre que ces données absolument immanentes, réquisit et fondation de la représentation scientifique et de sa soumission au réel à connaître. De là ce qu’il faut appeler, par opposition à la course illimitée de la technologie, la finitude de fond de la science, une finitude essentielle qui lui interdit à jamais de faire sécession d’avec le réel à connaître, sinon avec la représentation de ce réel. La science ne peut être fondée et décrite rigoureusement que du point de vue de l’« Un » qui contient la réalité de cette science, son origine transcendantale. Nous pouvons passer ainsi directement des sciences à la science transcendantale qui est la théorie de la science en contournant la Décision philosophique pourtant prétendument « incontournable »… Quitte à prêter à malentendu, on dira donc que la science tient la place d’une infrastructure – réelle désormais plutôt que matérielle, et transcendantale plutôt que transcendante. L’infrastructure réelle, c’est la science. Mais pas plus que la science ne se réduit à de la matérialité, elle ne se réduit à ses moyens logico-théorico-expérimentaux. On évite à la fois un matérialisme effectivement « sans pensée » puisqu’il représente la dénégation d’une position philosophique, et un positivisme scientiste qui rabattrait l’essence de la science sur ses procédés locaux de représentation et qui confondrait ainsi l’objet réel avec sa représentation..."

LARUELLE, 2020, NET