vendredi 28 avril 2023

ÉTHIQUE, Générique, Homme

"Nous définissons les grands traits d’une éthique gnostique sans fondement religieux ou métaphysique, juste générique. 1. Elle suture l’éthique à une connaissance complexe qui ne se définit pas par le Logos ou la Raison dominante, ni par une transcendance de l’Autre, pas davantage non plus par l’homme comme animal biologique. L’éthique n’est pas un effet ou un prédicat de la raison ou de la vie, mais l’opération de ce que peuvent les humains-en-corps, l’éthique appartient à la substance ultime des humains. 2. S’il y a éthique, c’est qu’il y a mal, malheur ou malaise, mal-faire, mal-penser, mal-agir... C’est une thérapeutique immanente de l’homme dans le monde par l’homme en tant qu’ouvert sur l’univers... L’éthique générique croise deux à deux les savoirs locaux, forme des rapports de disciplines, toujours avec la philosophie, qui sont en état de collision, affirme de toute façon leur non-séparabilité. C’est une éthique et une politique des interdisciplines, des savoirs hétérogènes les plus opposés qu’ont acquis les humains. 4. Éthique générique parce qu’elle est orientée sur la défense a priori de tous les humains dans toutes les situations ou tous les univers possibles... Elle renonce au Principe de Théologie Suffisante (PTS) et trouve dans le Christ le paradigme de la victime en état d’in-surrection, du Sacrifié qui est aussi le Re-ssuscité... Le salut gnostique-athée est assuré maintenant par le seul Christ-sans-Dieu et c’est une condition nécessaire mais non-suffisante de salut. Christ est cette condition non-suffisante, non-divine, de salut, il faut la coopération de sujets humains impliqués dans l’opération au moins comme agents ou acteurs."

LARUELLE, CF, 2014

GNOSE, Savoir, Salut

"Nous distinguons deux états ou deux usages de n’importe quel savoir ou matériel épistémique, un usage encyclopédique et suffisant, incluant également la philosophie, et un usage de salut qui est et lui seul une connaissance générique... La gnose est en général un savoir indocte ou inenseigné supposé habiter le cœur intime des humains et assurer leur salut... Une « connaissance » que l’on ne peut dire ni philosophique ni théologique mais générique parce que rapportée au genre humain qui a à charge d’en faire le meilleur usage – un usage qui n’est plus cette fois d’enseignement et de transmission, mais d’invention de la sauvegarde des vivants sur Terre. La forme qui règle son extraction et sa consommation n’est plus alors celle de la philosophie mais celle du genre humain à préserver, le savoir donne lieu à une connaissance de salut et c’est la raison pour laquelle la gnose, qui défend les humains et sur cette base les vivants en général, n’est nullement « anthropocentrique » au sens habituel, elle est la connaissance de dernière-instance, l’ultimatum avant que ne se réalise éventuellement la destruction de la vie humaine. De ces deux usages des mêmes savoirs, le premier peut être dit actuel de production et virtuel d’usage, il est produit actuellement dans l’histoire, mais ne sert pas encore au salut des humains. Le second est virtuel, c’est une connaissance que l’on est sans doute mais qu’il faut aussi avoir ou acquérir. Renouvelée dans un contexte plus scientifique que religieux, plus générique que philosophique, la gnose déplace les anciens partages du savoir comme être et comme avoir, inversant apparemment l’ancien ordre, tout en affirmant qu’ils sont le même puisque le savoir que l’on a de l’humanité générique est aussi un savoir que l’on est, mais dont il faut acquérir la connaissance. C’est un savoir que l’on ne sait pas encore comme connaissance de salut, on l’opposera à la formule de la philosophie comme savoir que l’on ne sait pas – formule signifiant en réalité cette suffisance qu’il vaut mieux ne « rien » savoir ou savoir le rien de savoir, plutôt que de ne pas savoir du tout. La philosophie fait du savoir un impératif absolu qui contient le savoir du non-savoir lui-même et comme non-savoir. La gnose abat cette volonté absolue de savoir et la radicalise ou différencie le savoir et la connaissance de ce savoir."

LARUELLE, CF, 2014

CHRIST, Invention, Fidélité

"Autant la philosophie se voue à l’ontologie, tourne autour de l’Être et s’aliène dans ce qui est, autant la gnose se voue à l’homme et à la science et tourne autour de l’axe qu’elle forme avec ces deux choses et qui s’appelle le Christ. Nous allons donc changer de paradigme de pensée, admettant que notre savoir théologique n’a plus force de légitimation. Que touchant le Christ qui est notre affaire, seules ses paroles les plus simples ont encore quelque force pour nous, celle du philosophiquement Inouï. Que nous avons à inventer le plus rigoureusement et le plus fidèlement possible notre Christ. Au mieux nous avons un modèle dans les Évangiles mais aucun exemple. Justement l’erreur de la théologie d’Église est d’avoir fait du modèle évangélique, qui pourrait bien être un modèle au sens scientifique plutôt qu’au sens platonicien et philosophique, un exemple à imiter dans une posture de rivalité, comme si le Christ n’était pas davantage à créer qu’à imiter. Ce qui est exigé de nous est juste la fidélité à ses paroles dans leur simplicité et l’effort d’inventer une pensée qui « va avec », avec le Christ. Cette simplicité des paroles du Christ n’est pas définie nécessairement par celle de ses récepteurs, elle tient à la force symbolique dont on dira qu’elle est de « superposition » de leur expression ou de leur sens."

LARUELLE, CF, 2014

GNOSE, Salut, Homme

"La gnose est la dualité d’un savoir primaire ou positif impliqué comme moyen dans la transformation humaine ou la connaissance de lui-même. Il faut nous préparer à la connaissance de nous-les-humains, non pour que ce savoir s’excède une nouvelle fois, monte en puissance et se modélise lui-même comme il le fait dans la philosophie. Au contraire, il devra se soustraire à sa réflexion spontanée, s’abaisser ou être abaissé, enlevé à sa connaissance de soi telle que la philosophie la pratique. Car voici ce dont il s’agit contre tous les dogmatismes et les vaines promesses, évaluer les chances ou la « probabilité » d’un salut épistémique des humains... Il s’agit de la gnose comme connaissance véritative de salut des humains telle qu’elle est déterminée en-dernière-instance par eux-mêmes et non plus par la philosophie comme forme du monde... C’est le sens de la gnose que cette exposition à la messianité et non à Dieu, une gnose athée, non-religieuse et non-platonicienne, un acte de salut des savoirs pour les arracher à leur milieu natif d’où ils tirent leur suffisance. Leur usage générique n’est pas leur auto-exposition absolue à une dialectique mais leur reprise radicale en fonction d’une futuralité à la mesure des humains."

LARUELLE, CF, 2014

GNOSE, Savoir, Philosophie

"L’axiome philosophique sous-jacent consiste à postuler la puissance implicite du non-savoir comme déjà savoir en l’Autre ou en Moi, sa capacité à être déployé sous la forme d’un savoir de plus haut rang. Cette fausse modestie du non-savoir exprime sa suffisance à se savoir lui-même. Appelons cette prétention le Principe de Non-savoir Suffisant, c’est le cœur de la philosophie. Il ne suffit pas de revendiquer le non-savoir et d’en faire bannière, mieux vaut un savoir non-suffisant qu’un non-savoir suffisant. La gnose inverse le problème de la philosophie ou le formule plus honnêtement... Il n’est pas suffisant de réfléchir philosophiquement ce savoir que l’on est sans l’avoir. La gnose court-circuite la réflexion transcendantale ou absolue qui appartient encore de toute façon au savoir primaire et, sans le réfléchir une fois de plus et le surpotentialiser à l’infini, elle le force à changer de destination, à bifurquer de sa finalité spontanée qui est l’idéalisme philosophique, à se soumettre génériquement aux humains plutôt qu’à un Dieu. La gnose force le savoir primaire ou positif à entrer dans une procédure qui n’est nullement réflexive ou en torsion spéculaire, mais « vectoriale ». L’ex-sistence générique n’est pas une trajectoire dans le néant, mais une émergence à sa racine, une insurrection radicale et non pas absolue. C’est d’abord dans son essence un vecteur plutôt qu’une chose ou un objet mais qui apporte avec lui l’équivalent d’un objet microscopique ou partiel (nous disons « quartiel ») à quoi est réduit le savoir positif. La gnose déployée est donc bien double mais justement sans former un doublet, plutôt quelque chose comme une superposition et une complémentarité. C’est la dualité d’un savoir ontico-ontologique primaire, donné plus ou moins positivement par les différentes disciplines, et d’un usage véritatif de ce savoir en fonction de l’homme, dualité relevant de propriétés quantiques comme la superposition et, on le dira aussi, comme la non-commutativité."

LARUELLE, CF, 2014

CHRIST, Science, Quantique

"Les paroles du Christ, la Crucifixion, la Résurrection, l’Ascension, la foi, la grâce, le corps, la vie, etc., ces phénomènes sont on ne peut plus concrets, voire physiques, rien ici n’est philosophique, c’est-à-dire séparé en opposés et réconcilié, tout est « matériel-et-spirituel », à vrai dire et pour se débarrasser justement des positions philosophiques, tout est « matérial » par superposition et non par dialectique. Ces phénomènes sont destinés aux « simples » parce qu’eux-mêmes sont « simples », quoique destinés à être saisis par un entendement non-suffisant ou dépourvu des Principes de Suffisance Philosopique et Mathématique (PSP et PSM). Il y a une phénoménalité matériale du Christ, ses formulations et les péripéties de son histoire relèvent d’une « matérialité » quantique d’un type nouveau qui échappe autant à la simplicité de l’analyse qu’à la complexité de la synthèse philosophiques et transcendantes... Une science générique doit être capable d’impliquer son appareil théorique dans son objet plutôt que de les séparer. La science du Christ est non-séparable de celui-ci, ne peut l’objectiver d’une manière indifférente, mais reste une physique avec un minimum de force mathématique productive et ne devient pas une herméneutique, même lorsqu’elle use des discours théologiques qui se sont faits autour du Christ. Il est possible d’inclure un matériau théologique dans une physique si celle-ci a pour objet une matérialité de paroles et d’événements inséparablement idéels (et) matériels. Il s’agit évidemment de cette physique spéciale qu’est la quantique. Nous isolerons les principes d’une pensée quantique non-suffisante, le noyau rationnel ou principiel de la physique, et l’investirons dans la matérialité christique de quelques uns des événements et des énonciations de l’être-Christ... La théologie gnostique, pour résumer, est la connaissance rigoureuse du phénomène christique par une combinatoire de théologie et de physique mais sous-déterminée par le Christ comme messianité. La messianité en quoi se résout le Christ est cette ouverture toujours achevée jamais fermée qui s’appelle la foi ou la fidélité. Il y avait dans la gnose une messianité qui a été perdue ou noyée sous des amoncellements de dogmes et d’images mythologiques et qu’il est possible de relancer ou de ré-activer."

LARUELLE, CF, 2014

CHRIST, Quantique, Théologie

"Les divers mélanges d’intuition et de concept, de donné et d’intelligibilité, d’empirisme et de rationalisme (Kant), qu’ils soient analytiques ou synthétiques, peu importe ici, relèvent tous du style corpusculaire ou macroscopique, pour reprendre ces vieux termes indicatifs de la physique, ils ne sont ni ondulatoires ni particulaires. La dualité classique de l’intuition et du concept, illustrée par les essais mémorables de Leibniz et de Kant, tombe entièrement, et le schématisme et l’auto-médiation avec elle, dans le modèle corpusculaire de la réalité qui n’est qu’un côté de celle-ci et son côté newtonien. Une physique du Christ, si elle ne veut plus risquer de donner lieu à un physicalisme, ne doit plus traiter de la complémentarité onde/particule comme une dualité macroscopique qui est en affinité avec le contexte religieux et philosophique du christianisme, ses dualités sensible/spirituel et son imaginaire psychologique. Dieu et le Christ, les paroles et les événements de l’Évangile, les dogmes auxquels ils ont donné lieu, tout ce matériel doit être traité plutôt sous la forme de dualités ou de complémentarités de type quantique, et plus précisément vectoriales ou unilatérales. La science christique qui se substitue à la christologie change du coup le visage de la théologie comme science. En tant que bâtie sur des principes tirés du modèle quantique, elle sera construite d’une part sur des propriétés algébriques comme l’idempotence et le nombre imaginaire représenté géométriquement par des vecteurs, elle donnera lieu à un formalisme de nature algébrique et sans PSM. Et d’autre part sur une matière de vécu qui ne sera plus donnée intuitivement mais matérialement par onde et particule, ce vécu étant la substance des phénomènes christiques... Nous devons alors extraire de la physique quantique positive, avec l’aide de la variable philosophique, les deux se conjuguant dans une matrice générique, le noyau d’une « pensée quantique », non pas d’un logiciel mais d’un « quantiel » ou d’une vectorialité pour de nouvelles pensées. Pensée quantique ne signifie pas que la science pourrait « penser », formule absurde, mais devenir un moyen de la pensée si l’on use de la philosophie pour cette extraction. Opération qui est l’inversion de la procédure typique de la philosophie, la science divisant le corpuscule de la philosophie, se mettant au travers du Tout et exigeant de lui que tous deux se superposent pour que la philosophie puisse non pas devenir « science », autre absurdité symétrique de la précédente, mais devenir un moyen de la science du Christ ou entrer à son service. C’est de cette manière que science et philosophie entrent dans une œuvre commune comme moyens d’une pensée non-standard. Autrement dit on ne peut sortir de cette amphibologie de la théologie traditionnelle qui mélange science et philosophie au profit de celle-ci, idéalisant ou bien « matérialisant » abusivement le Christ, que par leur conjugaison comme variables de l’objet = X nommé « Christ »... La conjugaison n’est pas ici une médiatisation ou une schématisation mais elle doit être soumise à une condition spéciale qui est la « reprise », plutôt que la répétition, de la quantique qui va se trouver en-avant-priorité...Car cette relance, loin d’être répétition, différence et identification, qui sont des opérateurs philosophiques, est une « superposition » au sens algébrique et quantique de ce terme. Une superposition produit ontologiquement de l’Un idempotent, algébrique et non métaphysique, capable de supporter une addition avec lui-même tout en restant « lui-même » ou formant une immanence vectoriale, sans devenir doublet. Addition stérile d’une synthèse qui passe par une analyse sans y sombrer, d’une analyse qui passe par une synthèse sans s’y arrêter. Elle ne vaut que de l’immanence vectoriale et non de la transcendance philosophique. Elle fait de l’Un et seulement de l’Un-en-Un avec de l’Être ou de l’Autre. L’Un qui n’est qu’Un, additionnable ou superposable avec lui-même, est sous-déterminé par rapport à son redoublement et ses identifications métaphysiques telles l’Être et l’Autre comme instances surdéterminantes. C’est le déclin ou l’abaissement générique de la transcendance théologique, sa sous-potentialisation, qui est idempotence par rapport à la toute-puissance."

LARUELLE, CF, 2014

CHRIST, Dieu, Clonage

"Dieu « fait » homme, ce grand axiome n’emprunte-t-il pas son contenu réel à une opération de clonage du Christ et des fidèles qui se fait dans la matrice ? Le contenu réel ou phénoménal de la schématisation macroscopique de Dieu en l’homme par le Christ est ce que l’on peut appeler un clonage réalisé sur et dans un matériel d’origine transcendante comme est le vécu du sujet ou de la croyance philosophique et réduisant son doublet à la simplicité. La version chrétienne de la schématisation de Dieu dans la nature humaine est la mauvaise fusion transcendante des termes, fusion macroscopique au résultat spéculaire et répétitif. Que ce soit le Dieu hyper-macroscopique ou que ce soit l’Imagination transcendantale apparemment plus modeste et immanente, ces opérateurs empruntent encore au schème du Christ ou des prédicats humains, mondains et psychologiques dans lesquels ils s’aliènent pour mieux sauver l’humanité de ces prédicats. Dans cette opération le Christ reste Dieu ou plutôt devient Dieu qui était et reste Dieu, il rejoint un Père qui n’est pas réellement aliéné mais subsiste tel qu’il est. La transcendance pécheresse de l’homme a sans doute été humiliée et abaissée mais pas celle de Dieu qui ne l’a été que par apparence, il n’y a pas eu « aliénation » réelle de Dieu, c’est un jeu macroscopique à transformation presque nulle. Le résultat risque d’être tautologique ou au mieux donner lieu à un renforcement de la puissance, celle du Dieu et celle de l’Imagination transcendantale, ce petit Dieu caché dans les profondeurs de l’âme, cet opérateur retiré dans les ténèbres dont il s’entoure. Les Modernes ont leur mythologie, certes plus « rationnelle » que celle des gnostiques, ils ont potentialisé les puissances et les dominations, ils ont ajouté au quadriparti traditionnel des causes celle d’un nouveau démiurge, l’Imagination transcendantale, miroir et doublet anthropologiques de Dieu."

LARUELLE, CF, 2014

CHRIST, Dieu, Gnose

"Quel est l’effet le plus général de la reprise gnostique plutôt que d’une répétition philosophique de la gnose, de ses textes et de son histoire, herméneutique qui ne nous préoccupe pas ? C’est une dé-planification non-chrétienne de l’histoire du salut, une insurrection dans les principes mêmes... Il s’agit de la promotion du Fils en cause avant-première ou en « dernière instance » d’une nouvelle histoire qui serait enfin celle des humains, et par conséquent d’un abaissement de la suffisance de Dieu mis à son tour sous condition du Christ. Cette insurrection se fait contre le Principe du Dieu Suffisant ou encore du Principe de Théologie Suffisante... La Résurrection a pour contenu phénoménal une reprise générique, un saut immanent et non l’ancien saut transcendant, et pour corrélat la chute du Dieu de l’Ancien Testament dans l’immanence générique humaine. De macroscopique et tout-puissant qu’il croyait être, c’était sa mythologie monothéiste, il devient ou mieux encore sous-vient comme particulaire, comme Dieu quartiel, réduit au quart négatif de son ancienne omniscience et puissance. Mettre Dieu sous condition déterminante, ce n’est pas le nier purement et simplement, geste aussi court de pensée que le simple refus de la théologie et de la philosophie, c’est se donner une chance d’élever la théologie à ce qu’elle a toujours prétendu être, une science de Dieu traitant celui-ci comme l’objet générique qu’il est. Christ est la révélation pour les humains fidèles et Dieu la révélation de l’objet corrélatif de cette fidélité."

LARUELLE, CF, 2014

CHRIST, Christianisme, Religion

"Nous luttons sur deux fronts, celui du théoricisme socratique et de la sagesse ontologique, celui de l’éthique judaïque et de la Loi. Ces héritages religieux fondateurs sont des variables hétérogènes, le Réel comme Idée ou bien comme Loi n’a pas chaque fois la même portée, comme si l’on pouvait choisir l’un comme l’autre indifféremment. Mais la lutte contre le christianisme est encore d’une nature un peu différente, plus complexe, s’amorce avec lui un déclin de la transcendance la plus escarpée dans la médiation, une sorte de rebroussement vers l’immanence (et qui aura des effets politiques ou « gnostiques »). L’idéal et la possibilité d’une « vie » immanente sont apparus sans doute dans un contexte religieux, mais le christianisme est peut-être la seule religion qui peut se nier elle-même, s’immanentiser, s’intérioriser au point de nier sa transcendance divine par l’incarnation comme mort du Dieu transcendant, comme sacrifice de l’ancien fonds religieux au profit du sujet-Christ livré à la solitude et l’abandon. De cette immanentisation radicale qui se « retourne » comme sous-venue positive, nous pourrions tirer la possibilité d’un non-judaïsme et d’un non-christianisme, au total d’une non-philosophie... Le problème du « philosopher en Christ » n’est pas résolu tant que philosopher n’est pas « en-Christ », mais reste dans la priorité de l’Idée. L’Incarnation est le modèle ou la modélisation (justement) d’une véritable avant-priorité du Réel si immanent qu’il se sépare du Tout. Christianisme et judaïsme ne sont que relativement opposés à la philosophie, l’un par une immanence sans vrais moyens, l’autre par l’excès de la transcendance. L’en-Christ suppose la dissolution des mélanges religieux païens qui revivent dans les christologies philosophiques. La nouvelle formule directrice est philosopher, judaïser, et peut-être « mathématiser », si l’on veut bien comprendre la formule en-Christ comme en-Un. La vraie formule, celle qui aura rempli un blanc ou un vide abusivement caché et comblé par la philosophie, est donc « sous-philosopher en-Christ ». Nous n’entendons pas le « en- » comme incarnation transcendante mais comme vécu (d’)immanence qui est le réel de l’incarnation. Il ne s’agit pas d’un Christ historique ni d’un Christ idéalisé par la religion ou platonisé par la philosophie, mais du Christ comme sujet-Étranger ou Fils de l’Homme-en-personne. Pour tirer quelque chose de nouveau du christianisme lui-même, et le tirer « en-Christ », il faut comprendre le récit des Évangiles comme modélisation d’un Christ radicalement immanent et dédoubler le christianisme en une christo-fiction générique et un christo-centrisme qui aura été sa modélisation religieuse... Le Christ annonçait la fin non du judaïsme mais de toute religion et peut-être du monothéisme pour un mono-humanisme générique... Christ n’est pas le critique des religions, il est leur consumation comme immanentes ou vécues, qui les laisse à l’état de résidus c’est-à-dire de symptômes et de modèles aux fonctions secondaires."

LARUELLE, CF. 2014

CHRIST, Gnose, Dieu

"Notre équation de base est celle-ci : Christ = science du Christ = gnose, avec son corollaire, gnose vs théologie ou christologie... Gnose est ce nom ancien, chargé encore de fantasmes religieux, abhorré des « Vieux Croyants » de l’Occident, que nous reprenons pour l’inscrire entièrement sous le nom de « Christ » et par là même le vider d’une partie de son contenu doctrinal et théologique dont elle-même, dans ses premières formes historiques, n’avait pas réussi à se libérer. Nous la comprenons de manière non-théologique et même non-religieuse comme la substitution, en une autre place et avec d’autres fonctions, du Christ à Dieu. La planification théologique dominante du salut, œuvre de Dieu et base du « christianisme », emprunte l’essentiel de ses définitions et de ses fondements philosophiques à l’ontologie grecque... Le principe est de désuturer le Christ de la théologie... La christologie n’est donc qu’un matériau particulier ou quelconque dans cette science-en-Christ qui est aussi science du Christ. Dieu de toute façon n’en est plus que l’objet soumis aux règles d’une objectivité que l’on dira quasi quantique – aussi bien une variable qu’un motif « occasionnel » de cette science... La théologie est le souci du Père et de ses substituts et va à la monarchie, la gnose est le souci du Fils, donc des humains en leur égalité ou va à la démocratie des frères génériques."

LARUELLE, CF, 2014

GNOSE, Quantique, Christ

"Il ne nous est demandé qu’une préparation gnostique qui doit nous mettre dans la bonne posture, celle de la fidélité inventive. Dans ce cadre « épistémique », la gnose représente une conjugaison des savoirs positifs, philosophie comprise, en une connaissance orientée-humaine de ces savoirs... Il n’est pas question de réhabiliter la gnose en renversant l’irréversible théologie classique, en tentant un coup de force qui serait voué à emprunter les mêmes errements que l’adversaire. Au contraire il faut conserver à la gnose son secret mais en trouvant les moyens de rendre intelligible son inintelligibilité ou son caractère indocte, de conserver et manifester son secret sans le détruire comme secret par une lumière rationaliste ou inadéquate. Cela fait partie de nos espérances théoriques, justement du type de savoir gnostique. Ce projet met immédiatement en cause le moyen quantique qui devra être adopté pour pouvoir dire qu’il s’agit d’une science... Il est possible d’éclairer quantiquement un secret sans le détruire absolument (ce qui serait plutôt l’effet de la philosophie) si l’on peut établir la « loi » quantique de ce phénomène c’est-à-dire ce que l’on appellera son « vecteur d’état ». Or, c’est ce que nous tenterons de faire avec et dans la science du Christ, établir le vecteur d’état du Christ à partir de ses données ou des données de ses paroles en mode « Logos » et en mode « Torah »."

LARUELLE, CF, 2014

jeudi 6 avril 2023

ÉTHOLOGIE, Règle, Responsabilité

Le manque de possible éthique, mais surtout l’extension, voire l’intensification de ce manque, devient un vécu universel co-extensif à l’intensification du possible de type technologique... Un aspect plus profond du même phénomène global : l’adoucissement de l’impératif catégorique, qui devient à la fois immanent et universel. Il se fragmente, se dissémine, perd de sa transcendance et de sa « rigueur », de sa pureté formelle aussi ; il se pluralise en règles innombrables : émergence d’une micro-éthique de la vie quotidienne qui remplit tous les espaces laissés vides ou exclus comme « pathologiques » (Kant) par l’éthique pure (profession, sexualité, information, culture, etc… de l’individu sont compénétrées d’un « il faut » ou d’un « tu dois » de plus en plus micrologique) ; fragmentation et extension universelle de la responsabilité, sous la forme d’une « responsabilisation » et d’une « imputation » douces étendues à tous les comportements de l’existence ; fragmentation continue des tâches, des buts, des responsabilités... La Règle est toujours conçue comme règle de synthèse principielle et absolue, mais elle est maintenant devenue immanente et assure la fusion des formes les plus transcendantes de la Loi et de la Responsabilité avec la matière humaine qui, de son côté, se transforme en vue de l’œuvre commune, l’étho-techno-logie comme comportement absolument « conforme » et inconditionné... Il y a un processus continu de responsabilisation, à la fois une co-extension de la responsabilité aux rapports sociaux quelconques sur lesquels ce nouveau rapport vient se greffer et qu’il fait dévier, toute une éthique douce adaptée à la multiplicité des rapports sociaux et en particulier technologiques – et une co-extension inverse de la technologie à toutes les décisions quelles qu’elles soient. L’éthique fonctionne aussi comme aide à la décision technologique, et la technologie, outre ses fonctions classiques dans la production, comme aide à la décision éthique. À l’éthique douce appropriée à la technologie, répond une technologie douce de la responsabilité... C’est l’homme en tout point « conforme » : non plus à un état, un pays, une culture, une loi, ni même à lui-même, mais à la Conformité même... L’homme « éthologique » – celui de l’Occident et, par conséquent, le seul planétaire – est engagé dans la voie d’une sainteté inouïe, d’un devenir-saint qui réside dans l’identification de sa volonté et de ses conditions étho-techno-logiques, de son essence et de son existence.

LARUELLE, 2020, NET 

ÉTHOLOGIE, Éthique, Technologie

Aucune forme connue du champ occidental de l’éthique n’est encore capable de fournir une règle de vie, un critère ou un fondement de décision, le principe d’une légitimation de l’existence humaine lorsque celle-ci se développe en milieu technologique intense. Le problème de la « légitimation » commence à se poser lorsqu’il est trop tard et qu’il n’y a plus de critères de légitimation... L’effectivité de notre existence, c’est l’Ethologos qui la constitue, et les penseurs, trop chargés de leur souci de légitimer l’éthique, arrivent toujours trop tard par rapport à lui qui est toute la légitimation possible... L’histoire de l’éthique occidentale est donc celle de son nécessaire « déclin » dans l’Ethologos. Elle se déploie dans l’espace de la Différence onto-éthique ou étho-logique qui est le mode éthique de la Différence ontologique de l’Être et de l’étant. L’éthique n’ayant justement commencé que comme un mode particulier de la métaphysique, son déclin suit de celui de l’ontologie, son déploiement s’achève sous la forme de la fusion universelle de l’éthos et de l’éthique, de ceux-ci et du technologos, dans un étho-techno-logos qui est la condensation de toutes les formes historiques de l’éthique avec les conditions d’existence massivement réglées par la technologie... La Différence onto-éthique est simplement la corrélation de l’individu et de la règle... Le résultat est une tendance qui en noue deux autres en chacun de ses points. D’une part la ruine continue et sûre de la transcendance éthique qui vire à une éthologie généralisée, qui se fond dans les conditions universelles d’existence de l’homme moderne : les seules règles qui vaillent encore pour lui et qui puissent assurer son gouvernement sont toutes des règles justement complexes, où la charge éthique ancienne est indécidable, inséparable de déterminations d’autres types, et entre autres technologiques, l’étho-technologie enveloppant et l’éthique et la technologie au sens strict ou scientifico-industriel. D’autre part le produit de cette fusion qui est immanente à la Différence onto-éthique et son processus : l’individu moderne, tout conditionné par ces règles qui lui sont de plus en plus immanentes et qui lui donnent cette allure, cette existence de momie pénétrée de ses bandelettes comme on l’est de ses prothèses.

LARUELLE, 2020, NET 

BIO-POLITIQUE, Racisme, Capitalisme

Le programme de la bio-politique de l’avenir est tracé, il dépasse le travail de ruine du capitalisme parce qu’il mène à sa manière le capitalisme à la ruine : détruire les formes inférieures d’état et de société, les passer au fil de la « sélection » comme forme achevée, accomplie, de la révolution, et dégager, par l’universelle stratégie, « la forme supérieure de tout ce qui est » (Nietzsche), la « nouvelle chaîne », celle qui enchaîne ses propres maillons comme ses esclaves, la chaîne esclave d’elle-même, un assujettissement universel…. Que chaque homme devienne une multiplicité, une « meute » et un État, qu’il intériorise le racisme et devienne supérieur à lui-même, c’est-à-dire aux autres. Un bio-engineering d’un style nouveau, chargé de détruire les formes moyennes et fascisantes du racisme, ses formes « raciales », « nationales » et « impérialistes », mais qui ne vide les égouts de l’histoire que pour mieux créer la « race » supérieure des couplages hommes-machines... Dissolvez – les États, les classes, les institutions, les usines, toutes les formes de communauté – il en restera toujours quelque chose, l’opération enfin pure de la dissolution et de la production qui fait corps avec la grégarisation accomplie, la biocratie supérieure maîtresse des corps et des âmes, à la vie à la mort... Cette épochè ultime du pouvoir, c’est elle qui contient les virtualités d’un génie bio-politique qui abandonnera ses formes actuelles, techno-économiques et capitalistes, pour devenir une véritable ingénierie de la domination qui trouvera enfin sa puissance et sa règle en elle-même... Car le racisme supérieur qu’elle s’ingénie à promouvoir ne manque ni au droit ni à la justice tels qu’ils ont jamais existé dans l’histoire, qu’il transvalue plutôt et qu’on ne peut lui opposer, comme le croient les modernes, sans lui donner des armes supplémentaires.

LARUELLE, 2020, NET 

EGO, Machine, Bio-politique, NIETZSCHE

Le nouvel Homme-machine est le type « humain » par excellence, le type qui sélectionne et trie le positif dans les types existants. Mais qu’est-ce qu’un type ? Ce n’est pas exactement l’Idée d’un individu mais un ego potentialisé comme Idée, un individu qui « fait » Idée, un ego identique à toute la chaîne, la coïncidence, devant laquelle aurait reculé Platon, d’un ego et d’une Idée, la dispersion d’un nous singulier, une multiplicité subjective mais continue. Cet a priori bio-politique de l’homme à venir assure le passage de l’Égologie classique et de l’Humanisme industriel à la Typologie sur-industrielle. Ce moi est une dispersion de rapports de pouvoir, un moi-de-moi différentiel, infiniment réfléchi, relatif à soi et donc absolu, un couplage infini… et moi… et moi… et moi. Il rassemble toute la subjectivité possible de l’histoire, c’est aussi le moi du moi, l’Ego ipsissimum (Nietzsche) comme rassemblement sur soi de l’histoire. Cet Homme-machine, le plus effréné des cartésiens, est un continuum égologique qui connecte de proche en proche des moi à l’état de coupures ou de « machines », toute une auto-constitution par le moyen d’une variance à coups de divisions. Comme si l’Ego pur avait été enfin arraché à la « conscience de soi » et cessait d’être le corrélat des mathématiques et des sciences humaines, de Dieu et des psychiatres, pour devenir l’objet et le sujet de l’expérimentation universelle. Le moi-de-moi est pouvoir-de-soi, volonté-de-soi, il inclut la volonté expérimentatrice comme son essence, et cette essence veut qu’il soit causa sui à force d’expérimenter sur soi, « nous voulons être nos propres cobayes » (Gai savoir, 319)... Avec ce moi communautaire qui contemple sa propre image et se remplit de son Idée, l’Homme-machine abandonne les formes psychologiques et sociologiques du narcissisme, il conquiert la forme supérieure du moi, la forme aristocratique du narcissisme. Ce moi reste de la nature du Rapport ou de l’Idée, il n’abandonne les formes inférieures de la grégarité que pour se constituer comme sa forme supérieure. C’est ici que Nietzsche et sa bio-politique absolue trouvent leur limite, bien qu’il tente de constituer cette limite justement en un absolu, en un flux récurrent et bouclé sur soi : ce devenir-homme et machine enchaîne comme jamais dans le passé l’homme et la machine techno-politique par excellence, la machine-État. Telle est la grégarité supérieure, mais grégarité quand même de ces fausses minorités que sont les aristocrates nietzschéens, puis le surhomme : ils accomplissent et rendent ab-solu le système homme-machine, le complexe étatico-humain, ils achèvent de fixer l’homme... L’homme inclut la grégarité des machines, et la machine la subjectivité humaine, mais ensemble per-verties et converties à elles-mêmes. Voici le troupeau supérieur, aristocratique, des hommes-machines, la forme de grégarité qui est le proprium de la nouvelle bio-politique. Ce propre ce n’est ni le vivant ni l’État, mais leur réduction simultanée à leur essence commune, le rouage, l’entrelacement de leur devenir-l’un-l’autre. 

LARUELLE, 2020, NET 

BIO-POLITIQUE, Expérimentation, Bio-technologie

Le développement bio-technique divise le concept d’expérimentation en deux ou trois lignées. Il y a l’expérimentation au sens ordinaire, elle se fait sous des règles théoriques, techniques et éthiques. Et une expérimentation qui fait règle, qui est à soi-même sa propre règle, expérimentation généralisée qui a pour objet les pouvoirs agençant la vie plutôt que des propriétés globales ou spécifiques du vivant, qui n’obéit plus à aucune règle scientifique ou morale, mais engendre de manière immanente ses propres critères. C’est elle qui forme le contenu réel de la bio-politique à venir... La bio-politique universelle est le devenir-méthode, le devenir-règle de l’expérimentation, donc aussi la destruction des méthodes et des règles comme horizons « invariants » de la recherche. L’expérimentation perd pour son compte la relative extériorité de ses procédures au corps vivant, elle devient l’essence immanente de la vie, le couplage « machinique » de l’homme avec l’homme, ou bien d’un fragment du savoir biologique avec un autre fragment... Quel est le principe de cette métrétique nouvelle, sur-anthropologique ? Expérimentation universelle veut dire : variation infinie des conditions d’obtention d’un effet, identité de cette variation infinie et de l’effet produit dans une régularité qui fait corps avec lui... Par rapport aux déviations de ses formes fascisantes, la bio-politique pure est une déviance si généralisée qu’elle reconstitue sa déviance en règle immanente. Ainsi on constituera un droit de l’expérimentation bio-politique, qui inscrira dans l’intervalle d’un droit pour… et d’un droit à… les criminels, les marginaux, les inventeurs de nouvelles valeurs, ceux qui prennent leur vie comme objet d’expériences nouvelles, qui font entrer des morceaux de leur corps ou de leur esprit dans des agencements cruels, tous les individus « performants » qui savent extraire eux-mêmes d’eux-mêmes une plus-value de puissance, ou qui auront su intérioriser les moyens du capitalisme sur-industriel pour l’extorsion de ce supplément de puissance.

LARUELLE, 2020, NET

VIE, Pouvoir, Bio-technologie

La vie, nous ne pouvons la penser au mieux que dans des systèmes vivants, des écosystèmes qui sont encore des formes de pouvoir propres à la pensée. Des eco-logoï, comme si les logoï avaient jamais été autre chose que des systèmes vivants, les vivants autre chose que des pensées dans le cercle d’une maîtrise réciproque qui n’a pas encore porté ses fruits les plus amers, comme si un fatum ramenait invinciblement à de vieilles pensées nos tentatives les plus révolutionnaires…. Pourquoi le problème est-il devenu crucial d’un pas au-delà de la bio-technè qui est en train de naître comme celle de l’avenir ? C’est que ce nouvel et dernier a priori a ceci de particulier que le pouvoir et la vie, en des sens qui ne sont plus tout à fait les anciens, sont en train de se réconcilier sous des formes inouïes, par le même procédé que l’Homme et la machine. À la surmachine, correspond un nouveau bio-engineering qui assure le couplage infini, absolu, interminable, s’assurant et se confirmant par lui-même, de la vie-comme-pouvoir et du pouvoir-comme-vivant. Le nouveau complexe bio-politique assure la coïncidence, la simultanéité a priori – « originaire » si l’on veut mais toujours en devenir – d’une vitalité toute-puissante, intensive et s’assujettissant de plus en plus rigoureusement elle-même, et d’un pouvoir continu et ramifié comme la vie. Ainsi naît le quatrième règne de la vie, celui qui n’est ni végétal, ni animal, ni cristallin, qui n’est pas non plus un objet de science-fiction, mais qui recueille en soi la patience végétale infinie, l’agressivité animale et humaine, la croissance continue par les bords des cristaux. Projet d’une domination de soi-même qui excède en étendue, profondeur et intensité les « disciplines » micropolitiques encore un peu laborieuses. Nouvel avatar du génie bio-politique que l’humanité exerce sur elle-même, forme supérieure du racisme contre le petit racisme ordinaire, et pas seulement le racisme comme vie supérieure…

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VIE, Philosophie, Bio-politique

Les philosophes qui ont fait de la vie l’Être et l’essence ont toujours appelé « vie » à la fois le flux, le devenir continu et auto-constituant, et une phase particulière, une coupure de ce flux. Plotin, Hegel, Nietzsche, Bergson, Husserl : la vie est le rayonnement de l’Un et une stase de ce rayonnement ; le devenir des contraires et l’un de ces contraires ; la volonté de puissance et l’un de ses modes ; l’élan vital et l’organisme qui l’enferme sur soi ; le flux de la conscience transcendantale et une détermination psycho-naturelle…. La vie est la simultanéité de l’essence et de l’existence, la matière comme hylé et, en même temps, une coupure ; une condensation, à la fois une abréviation et une extension, une déconcentration, une spatio-temporalisation de cette matière intensive. La philosophie, je ne parle pas ici de la biologie, n’a pas eu d’autres moyens de concevoir l’essence de la vie que par ce schème amphibolique qui s’inscrit dans la grande amphibolie occidentale de l’identité de l’Être et de l’étant, et qui appelle « vie » à la fois la substance des choses et l’un de ses modes. La bio-politique avoue ainsi n’avoir jamais été un projet scientifique. C’est l’ensemble des Rapports de pouvoir qui investissent et désinvestissent continûment l’analyse du vivant.

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BIO-POLITIQUE, Vie, Pouvoir

L’explication et la manipulation de l’homme se nouent de façon constante, l’analyse technicienne des corps, qui les rend intelligibles, ne se séparant pas d’une visée de pouvoir, leur manipulation comme automates ne se distinguant pas d’un savoir qu’elle suppose et d’un savoir nouveau qu’elle produit... Cette bio-politique de l’avenir est un mode d’une synthèse plus générale, celle de la matière et de l’Idée ; synthèse d’une hylé en devenir, d’un flux matériel continu qui est l’essence du pouvoir, la puissance même du pouvoir et de la vie. La vie est l’un des « contraires » du pouvoir, mais elle lui est identique ou simultanée. Si bien que l’on peut dire indifféremment que la vie est le flux hylétique sur lequel le pouvoir n’est qu’une coupure, mais aussi que la vie au sens strict est une coupure sur un continuum de pouvoir, qu’avant d’être pouvoir sur les corps vivants il sécrète ou produit continûment des corps simultanément biologiques et politiques, qu’il inscrit la vie et ses effets dans les effets de pouvoir, que les corps ne sont pas des substrats neutres ou indifférents sur lesquels s’édifieraient « en couches » des formes de domination et des qualités institutionnelles. La vie est un moyen pour le pouvoir et réciproquement... C’est l’identification radicale, la simultanéité plutôt dans un agencement « commun », de la nature et de la production, physis et technè, de la vie et de la technique... C’est l’identité d’une simultanéité, un pur devenir, un devenir bio-politique infini des organismes et des institutions qui s’agencent ensemble pour une nouvelle constellation.

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HOMME, Machine, Métaphore, NIETZSCHE

Un autre corps, de nouvelles machines techniques et sociales – mais toujours ce complexe ou cette synthèse de l’Homme et de la machine, ce couplage qui est peut-être l’essence de la machine…. Voici précisément la grande invention nietzschéenne... La machine n’est plus seulement un côté de la relation, elle est d’abord dans le et lui-même, dans la corrélation des termes. L’essence de la machine telle que la découvre Nietzsche dans les « métaphores » mécanistes et physico-chimiques de l’homme, c’est le couplage lui-même, la connexion à l’état pur, la machine-eidos, la synthèse qui est un transfert, le transfert qui est continu, la machine comme le métaphorique de la métaphore, c’est-à-dire la machine enfin sans « métaphore », l’absolue identité-en-devenir de l’homme et de la machine... Le dernier avatar de l’Homme-machine, c’est la destruction non pas de l’Homme et de la Machine, mais de ce qui en eux les séparait et les distinguait l’un de l’autre, leurs « formes moyennes » qui empêchaient la machinalisation de l’un et l’humanisation de l’autre. Surhomme ou surmachine, c’est tout un.

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HOMME, Machine, Politique, NIETZSCHE

On connaît d’ordinaire une seule tradition de l’Homme-machine. Mais il y en a deux, trois peut-être ; elles apparaissent dès qu’au découpage des objets de savoir et de l’histoire des idées dont la philosophie est coutumière, on substitue un autre découpage, celui des époques de pouvoir ou des modes de production techno-politiques de l’homme... La plus connue de ces traditions, mais non la plus ancienne, se rassemble une première fois pour prendre son départ avec Descartes. Elle combine la description anatomique et physico-médicale de l’homme avec sa fondation métaphysique ; un modèle physique et technique du corps avec un modèle technicien et volontariste de la création – réconciliation de l’homme comme créature du technicien et de l’homme comme automate de Dieu. La seconde n’est discernée et nommée qu’avec Nietzsche, qui la fait apercevoir en la dépassant. Tradition plus expressément techno-politique du corps humain, lignée peut-être encore plus ancienne que la précédente puisqu’elle trouve d’abord dans la polis, ses mœurs et sa justice, l’horizon des rapports de pouvoir, d’« hégémonie » parfois, entre l’âme et le corps, les dieux et les hommes. Cette technè propre à la polis, il faudrait commencer à la penser dans sa spécificité et sa continuité avec la « domestication » que Nietzsche voit partout à l’œuvre dans le monde moderne... Enfin la perspective proprement « nietzschéenne » du dressage et de la discipline « actifs », incluant cette domestication « réactive » et « grégaire », prolonge cette lignée-là de l’Homme-machine sans s’inscrire réellement en elle puisqu’elle doit plutôt expliquer comment la « domestication » est une mimétique et un raté du « dressage ».

LARUELLE, 2020, NET