jeudi 6 avril 2023

EGO, Machine, Bio-politique, NIETZSCHE

Le nouvel Homme-machine est le type « humain » par excellence, le type qui sélectionne et trie le positif dans les types existants. Mais qu’est-ce qu’un type ? Ce n’est pas exactement l’Idée d’un individu mais un ego potentialisé comme Idée, un individu qui « fait » Idée, un ego identique à toute la chaîne, la coïncidence, devant laquelle aurait reculé Platon, d’un ego et d’une Idée, la dispersion d’un nous singulier, une multiplicité subjective mais continue. Cet a priori bio-politique de l’homme à venir assure le passage de l’Égologie classique et de l’Humanisme industriel à la Typologie sur-industrielle. Ce moi est une dispersion de rapports de pouvoir, un moi-de-moi différentiel, infiniment réfléchi, relatif à soi et donc absolu, un couplage infini… et moi… et moi… et moi. Il rassemble toute la subjectivité possible de l’histoire, c’est aussi le moi du moi, l’Ego ipsissimum (Nietzsche) comme rassemblement sur soi de l’histoire. Cet Homme-machine, le plus effréné des cartésiens, est un continuum égologique qui connecte de proche en proche des moi à l’état de coupures ou de « machines », toute une auto-constitution par le moyen d’une variance à coups de divisions. Comme si l’Ego pur avait été enfin arraché à la « conscience de soi » et cessait d’être le corrélat des mathématiques et des sciences humaines, de Dieu et des psychiatres, pour devenir l’objet et le sujet de l’expérimentation universelle. Le moi-de-moi est pouvoir-de-soi, volonté-de-soi, il inclut la volonté expérimentatrice comme son essence, et cette essence veut qu’il soit causa sui à force d’expérimenter sur soi, « nous voulons être nos propres cobayes » (Gai savoir, 319)... Avec ce moi communautaire qui contemple sa propre image et se remplit de son Idée, l’Homme-machine abandonne les formes psychologiques et sociologiques du narcissisme, il conquiert la forme supérieure du moi, la forme aristocratique du narcissisme. Ce moi reste de la nature du Rapport ou de l’Idée, il n’abandonne les formes inférieures de la grégarité que pour se constituer comme sa forme supérieure. C’est ici que Nietzsche et sa bio-politique absolue trouvent leur limite, bien qu’il tente de constituer cette limite justement en un absolu, en un flux récurrent et bouclé sur soi : ce devenir-homme et machine enchaîne comme jamais dans le passé l’homme et la machine techno-politique par excellence, la machine-État. Telle est la grégarité supérieure, mais grégarité quand même de ces fausses minorités que sont les aristocrates nietzschéens, puis le surhomme : ils accomplissent et rendent ab-solu le système homme-machine, le complexe étatico-humain, ils achèvent de fixer l’homme... L’homme inclut la grégarité des machines, et la machine la subjectivité humaine, mais ensemble per-verties et converties à elles-mêmes. Voici le troupeau supérieur, aristocratique, des hommes-machines, la forme de grégarité qui est le proprium de la nouvelle bio-politique. Ce propre ce n’est ni le vivant ni l’État, mais leur réduction simultanée à leur essence commune, le rouage, l’entrelacement de leur devenir-l’un-l’autre. 

LARUELLE, 2020, NET