mardi 21 octobre 2008

EGO > Cogito

Confondant sa réalité avec la possibilité et son identité avec la réflexivité, la philosophie ne saisit pas l'essence de l'Ego tel qu'Ego.
La critique réelle de la réalité philosophique du cogito porte sur le côté de la pensée (cogitatio) comme sur celui de l'être (esse), et de ce dernier point de vue, il faut encore distinguer la fonction d'essence simple qu'endosse le cogito de sa fonction finale de substance (res cogitans).
La première critique philosophique de cette prétention ontologique du cogito est menée par Kant (suivi de Nietzsche), rappelant que ce "je pense" n'est qu'une assertion transcendantale vide de tout concept et d'objet.
La deuxième est celle de Heidegger qui interroge la réalité de l'Ego à partir du sum, et plus précisément en fonction du sens d'être de l'Etre. Heidegger n'y décèle que le sens historialement sédimenté et non élucidé de la substantia (analyse démentie par Marion au nom de la "déduction égologique de la substance" chez Descartes).
Plus radicalement, on peut douter que la pensée philosophique s'achève (ou se révèle finalement) avec cette question de l'essence de l'Etre, du sens d'être de l'Etre comme réel et le réel comme possibilisation de la possibilité. Une non-philosophie interrogera justement cette supposée teneur en réel du sens d'être de l'Etre et la supposée rigueur démonstrative permettant d'exposer le cogito autant que ses critiques. Ou plutôt elle se donnera le réel comme étant non supposable et non déductible, un donné-sans-donation ni possibilisation ; avec elle, le réel n'est plus présupposé comme objet du questionnement mais déjà-donné (dès qu'il y a questionnement...) comme sa condition ou sa cause de-dernière-instance.
Au fond les critiques du cogito enregistrent et valident celui-ci comme commencement philosophique de l'Ego, alors que la non-philosophie va rendre possible la philosophie de l'Ego à partir de l'Ego et en-lui. Un commencement n'est jamais suffisamment radical lorsqu'il se ramène à la primauté et à la priorité d'un principe transcendant, lequel n'a rien à voir avec l'Ego réel. Mais la radicalité non-philosophique n'est pas obtenue davantage par le passage à la limite de la transcendance vers l'immanence.
La critique réelle de l'identité philosophique du cogito ramène celle-ci à un pur présupposé, même quand elle est déduite après la détermination de ses attributs essentiels que sont la pensée et l'être, et qui font d'elle justement une identité divisée (puis rassemblée).
La philosophie de l'Ego divise celui-ci en le débordant constitutivement. Or cette part active du geste philosophique (le penser) s'excepte toujours du résultat produit ou pensé : même la prétendue performativité du cogito (dont la formule complète est censée nommer l'Ego) s'en trouve hypothéquée et comme confisquée par la philosophie, sous les traits de la pensée ou du langage (y compris dans la formule des Méditations : ego sum, ego existo, où la pensée-philosophie semble jouer sur une Autre scène). Toujours la réflexion, la division du sujet en énoncé et énonciation, profite à la philosophie qui n'identifie le sujet qu'en le représentant. Le "cogito" est bien le résultat de l'amphibologie de l'Ego et de la philosophie.
L'Ego-d'Ego redoublé par la philosophie doit être maintenant ramené en-Ego dans son immanence radicale (donnée par définition première), et sa sur-détermination par le monde où par l'existence doit faire place à son être radicalement déterminé ; d'autant que la philosophie, tout en le divisant et en l'évitant de mille façons, ne fait pas autre chose que le supposer donné depuis ce déjà donné réel.
Eu égard à l'identité réelle de l'Ego, l'identité de l'être et de la pensée en non-philosophie sera dite transcendantale et même première mais, à ce titre déjà, dérivée de l'Ego et hors de lui. Elle formera une dualité unilatérale spécifique, induite et déduite à partir de l'Ego réel, et non "abstraite" à partir de l'expérience comme n'importe quelle entité philosophique. Elle ne sera pas visée ou constituée comme identité transcendantale (de l'objet et du sujet comme sujet...), mais obtenue par clonage à partir d'une part de l'identité réelle et d'autre part du donné philosophique.

1996