mardi 18 juillet 2023

RÉSURRECTION, Mort, Ascension

Nous manquons d’une phénoménologie scientifique c’est-à-dire quantique de la mort et de la résurrection. Ressusciter peut se dire en grec soit « éveiller » soit « relever » ou « se relever ». Il s’agit dans ces infimes nuances de la différence entre une interprétation vectoriale et une interprétation dialectique qui se fonderait finalement sur l’ontologie de l’être et du néant. La vectoriale s’oppose à l’idée de la mort absolue, de la mort-néant, au tombeau-comme-vide-absolu et éventuellement au travail du négatif qui fait la substance d’abstraction de ces théories. Elle la conçoit comme mort radicale ou « maladie à la mort » (Kierkegaard), celle d’où Lazare est tiré par Jésus lui ordonnant de se lever. La mort doit donc être un fond moins abyssal que ce qu’en postulent les philosophes (Hegel, Heidegger, Badiou), moins un tombeau vide qu’une crypte, qu’un « tombeau-comme-vide » habité de cadavres, occupés par des corps victimisés. Quant au lever, relever, se relever, très peu de chose le distingue évidemment de l’éveil gnostique ou chrétien, voire du réveil et de la sortie grecque du sommeil des morts. Entre relève des concepts, relève d’une garde, relais d’une course, lever des enfants ou levée des corps, toutes les amphibologies sont possibles. Toutes ces nuances ont en commun la forme d’une ascension mais une seule a la forme et la simplicité vectoriale d’une phase, d’une ascension non-extatique comme simple amorce d’une transcendance qui ne se ferme pas ou d’une mouvance ouverte qui peut se clore ou s’achever sur soi mais pas en soi... L’interprétation vectoriale de la Résurrection retrouve ce que cette opération a de dynamique, d’ascendance sans extase (racine carrée de -1) c’est-à-dire de messianique. La messianité du facteur-messie est l’origine radicale de la Résurrection, l’Ur-Transcendenz qui n’est pas encore la transcendance du « Dasein » ni l’« Ur » d’où… Abraham est parti. La messianité est ce qu’il y a de continu, sinon de répétable, dans la levée subjective, d’émergence ou de « relève » à partir non pas du fond du tombeau vide mais du vide comme fond du Tombeau... On revient du tombeau inerte et « mort » mais pas du néant comme le croient les créationnistes que sont les théologiens et les philosophes. La Résurrection n’est pas une création mais une reprise ou une relance de l’onde de vécu. L’Ascension est le sens phénoménal de la Résurrection, le noyau vectorial de toute levée, et relève avant qu’elle ne s’enferme en elle-même ou ne sombre dans la clôture d’un événement historiquement saturé... Résurrection n’a aucun sens empiriquement imaginaire ou factuel, ce n’est même pas un événement clos sur lui-même, mais un processus transfini de phases. Elle n’est même pas un événement qui se dresse si ce n’est par sa reprise idempotente, parce qu’elle est le tout premier commencement de l’événement, ce qui du flash du Logos sort du tombeau de la nuit, dont la radicalité d’émergence fait la christophanie. La Résurrection est certes achevée à chaque instant, mais elle se continue en nous sans se fermer ou s’enfermer. Elle n’est pas éternelle comme un actuel présent, on dira qu’elle est futurale... Comme disent les Évangiles, le Christ n’est pas vu ou visible par une opération des sujets, il se fait voir... La fidélité ne consiste pas à voir pour croire ni à croire pour voir, mais à être des sujets remplis par superposition de l’image du Christ plutôt qu’ils ne s’en remplissent par un acte intentionnel. La Résurrection est générique et peut donc être individuelle, mais pas l’inverse, et dans cette limite on peut dire que les fidèles sont des « voyants » en un sens voisin de la psychanalyse parlant d’« analysants ». Le Christ ressuscité est davantage une icône qu’une image perçue d’après la présupposition du monde, c’est le noème d’une intention générique, non-individuelle.

LARUELLE, 2014, CF