vendredi 28 avril 2023

GNOSE, Savoir, Salut

"Nous distinguons deux états ou deux usages de n’importe quel savoir ou matériel épistémique, un usage encyclopédique et suffisant, incluant également la philosophie, et un usage de salut qui est et lui seul une connaissance générique... La gnose est en général un savoir indocte ou inenseigné supposé habiter le cœur intime des humains et assurer leur salut... Une « connaissance » que l’on ne peut dire ni philosophique ni théologique mais générique parce que rapportée au genre humain qui a à charge d’en faire le meilleur usage – un usage qui n’est plus cette fois d’enseignement et de transmission, mais d’invention de la sauvegarde des vivants sur Terre. La forme qui règle son extraction et sa consommation n’est plus alors celle de la philosophie mais celle du genre humain à préserver, le savoir donne lieu à une connaissance de salut et c’est la raison pour laquelle la gnose, qui défend les humains et sur cette base les vivants en général, n’est nullement « anthropocentrique » au sens habituel, elle est la connaissance de dernière-instance, l’ultimatum avant que ne se réalise éventuellement la destruction de la vie humaine. De ces deux usages des mêmes savoirs, le premier peut être dit actuel de production et virtuel d’usage, il est produit actuellement dans l’histoire, mais ne sert pas encore au salut des humains. Le second est virtuel, c’est une connaissance que l’on est sans doute mais qu’il faut aussi avoir ou acquérir. Renouvelée dans un contexte plus scientifique que religieux, plus générique que philosophique, la gnose déplace les anciens partages du savoir comme être et comme avoir, inversant apparemment l’ancien ordre, tout en affirmant qu’ils sont le même puisque le savoir que l’on a de l’humanité générique est aussi un savoir que l’on est, mais dont il faut acquérir la connaissance. C’est un savoir que l’on ne sait pas encore comme connaissance de salut, on l’opposera à la formule de la philosophie comme savoir que l’on ne sait pas – formule signifiant en réalité cette suffisance qu’il vaut mieux ne « rien » savoir ou savoir le rien de savoir, plutôt que de ne pas savoir du tout. La philosophie fait du savoir un impératif absolu qui contient le savoir du non-savoir lui-même et comme non-savoir. La gnose abat cette volonté absolue de savoir et la radicalise ou différencie le savoir et la connaissance de ce savoir."

LARUELLE, CF, 2014