vendredi 28 avril 2023

CHRIST, Christianisme, Religion

"Nous luttons sur deux fronts, celui du théoricisme socratique et de la sagesse ontologique, celui de l’éthique judaïque et de la Loi. Ces héritages religieux fondateurs sont des variables hétérogènes, le Réel comme Idée ou bien comme Loi n’a pas chaque fois la même portée, comme si l’on pouvait choisir l’un comme l’autre indifféremment. Mais la lutte contre le christianisme est encore d’une nature un peu différente, plus complexe, s’amorce avec lui un déclin de la transcendance la plus escarpée dans la médiation, une sorte de rebroussement vers l’immanence (et qui aura des effets politiques ou « gnostiques »). L’idéal et la possibilité d’une « vie » immanente sont apparus sans doute dans un contexte religieux, mais le christianisme est peut-être la seule religion qui peut se nier elle-même, s’immanentiser, s’intérioriser au point de nier sa transcendance divine par l’incarnation comme mort du Dieu transcendant, comme sacrifice de l’ancien fonds religieux au profit du sujet-Christ livré à la solitude et l’abandon. De cette immanentisation radicale qui se « retourne » comme sous-venue positive, nous pourrions tirer la possibilité d’un non-judaïsme et d’un non-christianisme, au total d’une non-philosophie... Le problème du « philosopher en Christ » n’est pas résolu tant que philosopher n’est pas « en-Christ », mais reste dans la priorité de l’Idée. L’Incarnation est le modèle ou la modélisation (justement) d’une véritable avant-priorité du Réel si immanent qu’il se sépare du Tout. Christianisme et judaïsme ne sont que relativement opposés à la philosophie, l’un par une immanence sans vrais moyens, l’autre par l’excès de la transcendance. L’en-Christ suppose la dissolution des mélanges religieux païens qui revivent dans les christologies philosophiques. La nouvelle formule directrice est philosopher, judaïser, et peut-être « mathématiser », si l’on veut bien comprendre la formule en-Christ comme en-Un. La vraie formule, celle qui aura rempli un blanc ou un vide abusivement caché et comblé par la philosophie, est donc « sous-philosopher en-Christ ». Nous n’entendons pas le « en- » comme incarnation transcendante mais comme vécu (d’)immanence qui est le réel de l’incarnation. Il ne s’agit pas d’un Christ historique ni d’un Christ idéalisé par la religion ou platonisé par la philosophie, mais du Christ comme sujet-Étranger ou Fils de l’Homme-en-personne. Pour tirer quelque chose de nouveau du christianisme lui-même, et le tirer « en-Christ », il faut comprendre le récit des Évangiles comme modélisation d’un Christ radicalement immanent et dédoubler le christianisme en une christo-fiction générique et un christo-centrisme qui aura été sa modélisation religieuse... Le Christ annonçait la fin non du judaïsme mais de toute religion et peut-être du monothéisme pour un mono-humanisme générique... Christ n’est pas le critique des religions, il est leur consumation comme immanentes ou vécues, qui les laisse à l’état de résidus c’est-à-dire de symptômes et de modèles aux fonctions secondaires."

LARUELLE, CF. 2014