jeudi 18 mai 2023

EN-CHRIST, Science, Christianisme

Plutôt qu’une théologie accompagnée d’un minimum de foi ou qu’une foi accompagnée d’un minimum de théologie, toujours plus ou moins bien suturables en extériorité, nous comprenons la théologie comme expérience vécue au sens contemporain de l’expérience, justement comme expérimentale et abandonnant ses normes de validité philosophique mais non pas toute philosophie... Une telle inflexion plus que simplement « vécue » mais formalisée de la théologie comme œuvre opérée en chacun des fidèles signifie le congé donné à l’Église comme appareil de médiation et à la théologie comme appareil d’Église... La formule « philosopher en Christ » résonne comme l’affect d’une distance impossible à combler mais qui doit l’être, l’appel d’un blanc en quelque sorte radical, d’un manque dans lequel justement l’Église et la théologie qui ont horreur du vide se sont précipitées comme médiations destinées à resuturer l’ensemble de la formule... Le terme qui manque parce qu’il est étranger à la philosophie et à la théologie du Christ, est celui de « science » dont pourtant un autre terme témoigne de manière précise mais illisible par la théologie et ses présupposés ontologiques transcendantaux, c’est celui de « en », « en-Christ », qui indique une immanence du Christ et une insertion du philosopher et donc du théologiser dans cette immanence. Ce que nous allons appeler la matrice générique ou encore christique est l’appareil de nature scientifique et expérimentale (physique et plus précisément quantique) qui réussit le démembrement du doublet théo-christo-logique et l’inclusion de la théologie elle-même en cette immanence qui porte le nom de Christ... Le Christ n’est pas seulement un modèle religieux à imiter dans son existence ou ses souffrances, le fondateur d’une nouvelle religion qui ne cesse de revenir l’interpréter et le solliciter, mais l’auteur de logia qui doivent être lus comme les protocoles et les axiomes d’une nouvelle science des humains en tant que par ailleurs ils sont voués comme êtres de croyances et de rites au monde. À ce Christ-là on soumettra la pensée religieuse comme on soumet un objet aux principes d’une science. Nuance importante, ce n’est pas la religion chrétienne, encore moins la « science chrétienne », qui est cette science des autres religions, c’est le Christ qui énonce les protocoles d’une science pour toutes les religions, christianisme compris. Le christianisme n’est ici qu’une religion que l’on dira « formelle » ou encore « première », à mettre sous condition elle aussi christique... Pourquoi parler d’une « science du christianisme » et des autres religions ? La foi a-t-elle jamais apporté une science ou bien supporté d’être l’objet d’une science ? Des raisons historiques assez superficielles peuvent nous mettre cependant sur la voie. L’événement-Christ n’est rien d’autre que celui de l’émergence de la foi contre les croyances gréco-païennes et judaïques qu’elle est seule capable de transformer afin de les mettre à portée générique des humains, et cette lutte contre les croyances au nom de la foi entretient avec la science moderne, c’est-à-dire la physique, les rapports les plus étroits. Si philosophie et mathématique depuis Platon se tiennent la main comme jumelles en miroir, foi et physique mathématique le font encore autrement et signent ensemble l’entrée dans la modernité cartésienne de la certitude subjective (Heidegger)... La conjoncture, théorique au sens le plus large, ayant beaucoup changé, cette association dispose de moyens différents et peut se proposer de nouveaux objectifs... Conjuguée avec l’impératif luthérien, cette nouvelle perspective ne peut signifier que le congé donné à la philosophie comme contemplation exclusive ou théoriciste de la foi.

LARUELLE, 2014, CF