Une bibliologie sur cette base technologique serait fondée au moins sur deux axiomes qui semblent caractéristiques de toute distribution technologique de phénomènes quelconques : a ) entre deux livres, on peut toujours en insérer – en écrire, en lire, etc. – un troisième ; tout livre peut servir d’interface entre un autre et un second, ou bien entre un autre et d’autres phénomènes non bibliologiques. b ) Si, entre deux livres, il y a toujours une place occupable par un troisième, cette place est unique, mais en un sens spécial : son identité n’est pas substantielle (spatiale, alphabétique, thématique, etc.) mais relationnelle et topologique. À la limite de son devenir-technologique, la place du livre (et le livre lui-même) est le « rapport » ou la différence de deux places ; et par conséquent, un livre est toujours le rapport indivisible de deux livres. Il fut toujours, il est de plus en plus difficile de décider de ce qui est un livre, mais cela n’est pas non plus absolument indécidable. Un livre est semi-décidable (« discernable »), semi-indécidable (« indiscernable »). Pour décider en effet entre deux livres, il faut un système de règles. Celui-ci étant consigné dans un troisième livre, comment décider entre le second et le troisième, etc. ? À la limite, on peut énoncer l’axiome suivant : n’importe quel livre représente une règle d’usage possible d’un autre livre... Le livre a des voisinages, mais, plus profondément, il est lui-même un voisinage pour d’autres choses ou d’autres livres indifféremment. Rien que des « jeux » semi-indécidables, voilà ce que deviennent, sous cet angle, les bibliothèques, les entrepôts de stockage, les maisons d’édition, les librairies, etc. La vérité de ces axiomes est celle du devenir-technologique du livre. Ils sont la formule d’une tendance, d’une régularité qui correspond à une idéalité technologique qui appartient au livre, mais qui ne définit pas son essence.
LARUELLE, 2020, NET