mardi 22 février 2011

MARXISME > Conjoncture

Le marxisme, une doctrine qui a échoué ? Il n'est pas question de laisser aux déserteurs (du marxisme ou de la pensée en général), ni inversement aux tenants du "retour", le soin de commenter le supposé échec du marxisme. La bonne démarche ne doit pas être de fuir le marxisme mais d'aller vers lui, et l'assumer dans une posture susceptible de donner l'explication de cet échec comme d'une nouvelle conjoncture. Les échecs du marxisme sont multiples, hétérogènes et incommensurables. Un échec de type scientifique ? En fonction du critère de Popper, l'hypothèse de son universalité aurait été contredite expérimentalement et infirmée, mais pour cette raison même elle conserverait sa positivité scientifique et ne serait pas la sanction d'une thèse métaphysique sur l'histoire. Un échec de type philosophique ? S'il y a une obsolescence philosophique du marxisme, elle n'a pas plus de validité que l'obsolescence continue des décisions philosophiques qui forment la tradition. Comme philosophie, le marxisme n'a pas d'objet, sinon l'Etre (comme matière), mais il veut aussi intervenir dans l'histoire qu'il ne fait que transcender ; c'est pourquoi l'échec était inévitable, mais ce n'est pas l'échec qui est mauvais, c'est la croyance qu'une philosophie particulière (le matérialisme dialectique) était la philosophie pour le prolétariat et donc pour l'homme. Or le marxisme n'est ni une science ni une philosophie séparées, mais l'unité des deux sur le mode encore divisé de la philosophie.

Pour nous la conjoncture adéquate est le marxisme inséparable de son échec autant qu'irréductible à lui : son échec supposé cesse d'être une simple supposition pour acquérir la réalité d'une conjoncture universelle. C'est donc notre conception mondaine de la conjoncture comme "historique" que nous devons transformer par une conjoncture qui ait la forme du Monde. Peut-être l'échec du marxisme est-il plus profond que son seul passage à l'acte ou au réel de l'histoire, peut-être y a-t-il un échec plus profond qui relève d'une illusion transcendantale propre à ce genre de théories encore dominées par la philosophie ? Le concept strictement marxiste de la conjoncture (lui-même historiciste, par exemple l'argument d'une "nouvelle donne capitaliste") ne peut expliquer l'échec. Il importe de forger un concept nouveau de la conjoncture, non plus comme simple accident ou présent historique mais comme mode de la pensée-monde, capable de servir de matériau non-historique, lui-même universel, au non-marxisme. Co-existant avec l'horizon du marxisme, lui co-appartenant, l'échec remplit alors une nouvelle fonction dite "occasionnale", non de simple occasion historique pour "renouveler" le marxisme à la manière des néo-marxistes, mais de causalité théorique ou d'invention d'un non-marxisme, d'une répétition-sans-retour.

La nouvelle occasionnalité définie est davantage qu'une simple opportunité (révision, refonte, etc.) : il ne s'agit plus d'intervenir (sur) mais d'inventer (à partir de). Il faut une découverte "inactuelle" (un Réel non-matériel et non-historique) pour faire apparaître son actualité future, à inventer. On ordonnera l'ensemble du matérialisme historique et dialectique non pas directement à cette nouvelle infrastructure mais à une théorie selon celle-ci et qui usera du marxisme comme d'un matériau de symptômes et de modèles restreints pour l'élaboration de ses propres catégories. Le marxisme est une théorie universelle du Monde, mais avortée, encore sous l'emprise d'une téléologie philosophique ; le problème de sa radicalisation sera d'isoler ce noyau d'universalité symptômale.  (2000)